Dans un marché de l’emploi sous tension, les seniors restent paradoxalement les grands oubliés du recrutement. Pourtant, leur expérience, leur stabilité et leur capacité d’adaptation en font un levier stratégique majeur pour les entreprises.
En France, on devient « senior » dès 45 ans. Un seuil marquant l’exclusion du marché du travail pour de nombreuses personnes, malgré un contexte de volatilité du marché et l’allongement de la durée de vie professionnelle. Entre préjugés tenaces et timides tentatives de solutions, la question du recrutement des seniors reste un angle mort des politiques RH. Pourtant, loin des clichés, les seniors constituent des ressources précieuses pour les organisations.
Le paradoxe du marché du travail
Alors que de nombreux secteurs peinent à attirer les profils requis et à garder les compétences les plus précieuses, les seniors ou « talents expérimentés » restent largement sous-représentés dans les recrutements. Dans une période de réforme des retraites et de carrière prolongée, cette catégorie devrait au contraire s’imposer comme une réponse naturelle.
En 2024, selon la DARES, le taux d’emploi des 55-64 ans en France atteint 60,4 %, mais reste en deçà de la moyenne de l’Union européenne (65,2 %) et largement en dessous de certains pays comme l’Allemagne (75,2%) ou la Suède (78,1%). Or, dans un contexte de difficultés de rétention des compétences clés, l’expérience et le savoir-faire des seniors apparaissent comme des atouts indispensables pour soutenir la performance et la transmission au sein des entreprises. Il est temps de trouver des solutions.
Des préjugés persistants
« Trop chers », « trop expérimentés », « trop d’ego » « pas assez digitaux » : les seniors restent confrontés à des stéréotypes qui freinent leur maintien dans l’emploi.
Leur expérience est souvent perçue comme un frein à l’adaptabilité, comme si des décennies de carrière empêchaient toute évolution. Leur personnalité est parfois décrite comme difficile à intégrer dans des équipes plus jeunes.
Pourtant, la réalité est bien différente. Les études montrent que les seniors sont prêts à se former, et qu’ils s’adaptent volontiers aux évolutions de leur métier. Le baromètre Apec 2023 indique ainsi que 61 % des cadres de plus de 50 ans se déclarent prêts à suivre une formation pour évoluer, un niveau comparable à celui des 30-39 ans. On peut ajouter qu’ils apportent une expertise précieuse, favorisent la transmission des savoirs et contribuent à la stabilité des équipes.
La réalité des seniors : entre concessions et frustrations
Les candidats de plus de 45 ans ne se contentent pas de défendre leur parcours : ils savent aussi faire preuve de souplesse. À défaut de CDI, beaucoup envisagent le temps partiel, les missions de transition ou le portage salarial pour rester actifs. Cette capacité d’adaptation témoigne d’une volonté forte de contribuer à la vie économique. Mais ces efforts se heurtent à une double frustration : devoir brader son expérience pour décrocher un poste, et constater que le processus de recrutement s’arrête parfois dès l’envoi du CV.
Pourtant, les arguments économiques en faveur de leur recrutement existent. La fidélité des seniors limite le turnover, leur expertise renforce la qualité des process, et leur présence favorise la transmission des savoirs. Une richesse que les entreprises négligent et que trop de dirigeants ignorent.
Les tentatives de réponses concrètes
Face à ce constat, quelques initiatives voient le jour. La création du « CDI senior » en 2023, destiné aux plus de 60 ans proches de la retraite, illustre la volonté des pouvoirs publics de changer la donne. Si cette initiative est intéressante, le CDI Senior reste limité car il intervient tardivement dans le parcours professionnel. Il concerne en effet une catégorie de salariés qui sont en toute fin de carrière et ne touche donc qu’une partie de salariés qui pourraient en bénéficier.
Certaines entreprises, cependant, montrent la voie avec des politiques inclusives. Dans l’industrie, quelques grands groupes ont mis en place des programmes de mentorat intergénérationnel, où les seniors accompagnent les jeunes recrues. Dans les services, des cabinets de conseil valorisent les profils expérimentés pour des missions à forte valeur ajoutée.
Même si ces initiatives restent encore trop peu nombreuses, elles démontrent bien que d’autres modèles sont possibles et que la mobilisation des seniors peut constituer un véritable levier de compétitivité.
Vers un changement de culture
L’exclusion des seniors du marché du travail a un coût. Leur absence alourdit les dépenses d’assurance chômage, fragilise la cohésion sociale et prive les entreprises d’un vivier de compétences au moment où elles en ont le plus besoin.
Pour inverser la tendance, plusieurs leviers existent : renforcer la formation tout au long de la vie, valoriser la complémentarité des générations, adapter le management aux parcours variés, ou encore calibrer les incitations fiscales de manière plus forte. Mais au-delà des dispositifs, c’est surtout le regard porté sur l’âge qu’il faut transformer. Considérer un salarié de 50 ans comme un atout plutôt qu’un risque est sans doute l’un des défis culturels majeurs des prochaines années pour les directions des ressources humaines.
Alors que la durée du travail s’allonge, l’intégration des seniors apparaît comme une évidence. En aucun cas, ils ne doivent être des variables d’ajustement, comme on le voit encore trop souvent dans les plans sociaux. Briser les préjugés, valoriser l’expérience et créer de véritables passerelles intergénérationnelles constitue une nécessité, autant économique que sociale.
Source : courriercadres.com