Réforme de l'assurance-chômage : cinq questions sur le durcissement des conditions des ruptures conventionnelles envisagé par le gouvernement

29/07/2025

En quête d'économies pour le budget 2026, François Bayrou et sa ministre du Travail veulent réduire le coût de ce dispositif qui permet au salarié de toucher l'allocation chômage, accusé de se substituer à des démissions ou des licenciements.

C'est un dispositif populaire, mais dans le viseur. Le gouvernement envisage de durcir les conditions de la rupture conventionnelle, qui permet à un employeur et un salarié de rompre d'un commun accord un contrat à durée indéterminée, et ouvre des droits à l'allocation chômage. Alors que le Premier ministre François Bayrou a proposé de nouvelles négociations pour réformer l'assurance-chômage, dans le cadre des pistes d'économies pour le budget 2026 présentées le 15 juillet, la ministre déléguée chargée du Travail a cité parmi les principaux sujets la lutte contre les "abus" liés à la rupture conventionnelle. Astrid Panosyan-Bouvet a confirmé son intention dans une interview au Point, jeudi 24 juillet, trois jours après avoir convié les syndicats à son ministère. Franceinfo vous explique les règles aujourd'hui en vigueur, et comment et pourquoi le gouvernement veut les modifier.

1 - Quelles sont les règles actuelles de la rupture conventionnelle ?

Introduit en 2008, ce dispositif visait à donner une plus grande flexibilité au marché du travail et proposer une alternative au licenciement et à la démission, en permettant une rupture à l'amiable. Pour l'employeur, cette rupture à l'amiable devait réduire le risque d'une procédure aux prud'hommes, par rapport à un licenciement. Pour l'employé, ce dispositif avait l'avantage de donner droit à l'assurance-chômage, ce qui n'est pas le cas après une démission.

Pour y avoir droit, il faut être salarié en CDI, explique le site de l'administration. La procédure est codifiée : il faut effectuer au moins un entretien préalable, puis rédiger et signer une convention qui définit les conditions de la rupture du contrat, notamment la date et le montant de l'indemnité de rupture conventionnelle, qui "ne peut pas être inférieur à l'indemnité légale de licenciement", précise l'administration. Les deux parties bénéficient d'un droit de rétractation dans les quinze jours suivants, puis la convention doit être homologuée par l'Etat. "La rupture conventionnelle ne peut pas être imposée par l'une ou l'autre des parties", insiste le site de l'administration. Le recours aux prud'hommes est possible si des pressions ont été exercées par l'employeur.

2 - Qu'est-ce qui pourrait changer en cas de réforme ?

En réformant une nouvelle fois l'assurance-chômage, le gouvernement souhaite économiser aux finances publiques "entre 2 et 2,5 milliards d'euros [par an] pour la période 2026-2029, et 3 à 4 milliards d'euros d'économie à l'horizon 2030", selon le chiffrage du ministère du Travail. Le 15 juillet, Astrid Panosyan-Bouvet avait expliqué qu'elle voulait modifier la durée d'indemnisation et les conditions d'éligibilité de tous les demandeurs d'emploi, mais aussi se pencher plus précisément sur les "conditions d'indemnisation" des ruptures conventionnelles.

L'une des hypothèses consiste à allonger le délai de carence, c'est-à-dire le temps entre la rupture conventionnelle et le début de l'indemnisation par l'assurance-chômage. Celui-ci dépend notamment du montant des indemnités de rupture touchées par le salarié dans le cadre de la convention avec son employeur, et peut durer de 7 jours à 5 mois, explique France Travail. L'allonger pourrait rendre le dispositif moins attractif et moins coûteux. "La carence est une piste parmi d'autres", a expliqué Astrid Panosyan-Bouvet au Point jeudi.

3 - Comment le gouvernement justifie-t-il son projet ?

S'exprimant après les annonces budgétaires de François Bayrou, le 15 juillet, Astrid Panosyan-Bouvet a affirmé qu'il existait "objectivement beaucoup d'abus" liés aux ruptures conventionnelles, "du côté salarié comme du côté entreprises", laissant entendre qu'elle pouvait servir de couverture à des démissions ou des licenciements.

Pour l'affirmer, le gouvernement se fonde sur une étude de la Dares, l'agence de statistiques du ministère du Travail, réalisée en 2018. Elle estimait alors que "les ruptures conventionnelles se seraient avant tout substituées à des démissions de CDI (environ 75% entre 2012 et 2017) et, dans une moindre mesure, à des licenciements économiques (entre 10 et 20%)". Seul le reste des départs (5 à 15%) "n'auraient peut-être pas eu lieu sans l'introduction du dispositif".

Une autre étude, mise en ligne en 2019 par les économistes Cyprien Batut et Eric Maurin, estime quant à elle que "l'adoption des ruptures conventionnelles dans un établissement coïncide avec une hausse globale des ruptures de CDI", ce qui signifierait qu'elles s'ajoutent au moins en partie aux licenciements et aux démissions, plutôt que de s'y substituer.

Dans son interview au Point, jeudi, la ministre du Travail estime aussi que l'allocation chômage après une rupture conventionnelle est utilisée comme "un revenu de confort" par certains salariés, notamment "des travailleurs en milieu de carrière très qualifiés", qui "ne commencent donc pas immédiatement leur recherche d'emploi". Elle propose aux partenaires sociaux de "recalibrer le système" pour qu'il revienne à "son esprit d'origine" d'être "un filet de sécurité".

4 - Combien coûte chaque année le dispositif ?

En 2024, près de 515 000 ruptures conventionnelles individuelles ont été signées, selon les statistiques du ministère du Travail, contre 315 000 en 2015, témoignant d'une hausse du recours à ce dispositif, même si les chiffres stagnent depuis 2022. Cette cause de rupture de CDI reste moins importante que les démissions (1,85 million en 2024) et les licenciements (583 000), selon la Dares.

En 2022, France Travail a versé 9 milliards d'euros d'allocations aux employés indemnisés après une rupture conventionnelle, soit 28% du total des allocations versées, selon l'Unédic, et ce alors qu'ils représentent 25% des allocataires. Un décalage qui s'explique par le fait qu'elle ne concerne que d'anciens salariés en CDI, dont la rémunération est plus importante que la moyenne, donnant droit à une indemnisation également plus importante.

5 - Quelles sont les réactions des syndicats et des organisations patronales ?

Si la ministre du Travail a invité les principaux syndicats lundi pour un premier échange sur la réforme de l'assurance-chômage, seules la CFDT et la CFTC ont fait acte de présence. "C'est un carnage total pour les demandeurs d'emploi", a déclaré la présidente de la CFDT, Marylise Léon, à la sortie, au sujet du projet global du gouvernement. "C'est absolument inacceptable", s'est insurgé auprès de franceinfo Denis Gravouil, secrétaire confédéral en charge du dossier à la CGT. Tous deux ont aussi critiqué, auprès du Monde, l'idée de durcir les règles des ruptures conventionnelles. Denis Gravouil accuse ainsi le gouvernement de prétendre "que les salariés abusent", alors que "les ruptures conventionnelles sont souvent des licenciements déguisés", estime-t-il.

Plus ouverts à des évolutions, les représentants des entreprises dressent cependant un constat nuancé. Cité par le quotidien, Jean-Eudes Tesson, président de l'Unédic et issu du Médef, rappelle que les ruptures conventionnelles ont "apporté beaucoup" en "apaisant" certaines situations, mais partage l'idée qu'elles se sont substituées, "dans bien des cas, aux démissions, ce qui entraîne des coûts supplémentaires" pour les employeurs et pour l'assurance-chômage. "Les sociétés de taille moyenne et intermédiaire sont attachées à la rupture conventionnelle" avertit Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), toujours dans Le Monde, tout en ajoutant que l'appréciation "est sans doute différente" dans les toutes petites entreprises, qui "trouvent que certains salariés tirent sur la corde".

Source : franceinfo.fr